Méthodologie

Introduction aux méthodes de simulation de l'activité (dont le Design Fiction)

Alan Cohen
Introduction aux méthodes de simulation de l'activité (dont le Design Fiction)

Le terme “simulation” qui est apparu en France vers la fin du 12ème siècle, définit l’action de feindre, c’est-à-dire de faire paraître réelle une chose qui ne l’est pas (Thomas de Kent). Cependant , la simulation en tant que méthode d'atelier ne renvoie pas uniquement à l'action de feindre une action précise, mais bien à jouer l’intégralité des événements qui pourraient se produire en situation réelle autour de cette action (Bobillier Chaumon et al., 2018). En d’autres termes, quand on utilise cette approche, on ne doit pas jouer uniquement l’action, car elle n’existe jamais seule dans la réalité mais bien l'ensemble des actions qui permettent à l'action d'être réalisée. On pense notamment au tâches d'organisation ou de communication essentielles à la réalisation de l'activité collective. Dans la fiction on va donc donc par exemple intégrer les contraintes associées à la situation ou à l’ensemble des conséquences que l’action aurait dans la vraie vie, etc.

Prenons l’exemple concret de la simulation d’une visioconférence professionnelle. En plus de reproduire la situation de visioconférence en elle-même, il sera demandé dans un premier temps de s’attarder sur les conditions techniques que nécessite la visioconférence. C’est-à-dire le matériel, la connexion internet, se trouver dans un endroit propice, etc. C’est d’ailleurs justement en s'attardant sur ces aspects qui peuvent sembler insignifiants que la méthode apportera de bons résultats. En effet, l'objectif de ces méthodes est bien de pré-tester différents futurs probables afin de faciliter les prises de décisions dans un contexte de changement. 

Mais alors de quelles manières peut-on utiliser la simulation d’activité et pour quels objectifs ?

La simulation permet avant tout de faire une exploration des différentes éventualités de la nouvelle situation de travail et participe donc à une réduction des incertitudes. En effet, l’attrait principal de la méthode est d’articuler les attentes diverses et parfois contradictoires entre les différents acteurs du projet (Daniellou, 2007).

Concrètement, la méthode permet la mise en débat de compétences différentes, entre les commerciaux et les techniciens par exemple. Ces oppositions d’idées vont venir enrichir les représentations autour de l’action simulée. La simulation peut avoir différents objectifs en fonction des besoins : la conception pour penser de nouveaux systèmes, la correction pour améliorer un système existant et enfin l’étayage (ou le soutien) pour échanger collectivement sur des situations de travail vécues (Bobillier Chaumon et al. 2018). 

La simulation de conception (Le design fiction)

Il serait réducteur de penser que la simulation ne vise qu’à tester des éventualités. Effectivement, son utilisation peut également permettre d’accompagner le processus de conception de situations futures afin d’en évaluer les contraintes et les opportunités auprès des acteurs du terrain qui détiennent la connaissance. Il faudra toutefois s’entendre sur le fait qu’il s’agisse bien d’une co-construction de la part de tous et toutes qui est attendue par la simulation. Car c’est en privilégiant la confrontation des représentations et des logiques d’actions que la simulation permet de tester les limites probables du dispositif. Ces questions d’efficience et de sens de l’activité sont déterminantes lorsque l’on traite de sujets tels que l’acceptation d’une nouvelle solution technique (Bobillier Chaumon & Clot, 2016). Par ailleurs, on sait qu’un système co-construit par des acteurs et actrices faisant ses preuves lors des simulations aura de grandes chances d’être accepté lors de sa mise en œuvre. En outre, c’est parce que la simulation offre l’opportunité de s’arranger avec les modalités et les contours de l’activité que les systèmes qui émergent sont acceptés par les individus (Bobillier Chaumon, 2016). Enfin, l’objectif de la simulation de conception n’est pas d’effectuer une prescription de l’action précise, mais plutôt de comprendre dans quelles conditions l’activité future peut se développer et si ses formes sont acceptables pour les acteurs qui seront sur le terrain (Daniellou, 2007). Lorsque l’objectif est d’améliorer des situations de travail existantes, c’est la simulation de correction qui sera la plus adaptée. 

La simulation de correction

La simulation de correction quant à elle vise à repenser les situations de travail existantes dans le but d’améliorer les actions individuelles et collectives. C’est la confrontation entre les salarié·ées qui va permettre d’imaginer de nouvelles perspectives et de nouvelles manières de travailler ensemble. Dans ce contexte, la simulation de l’activité permet la mobilisation des compétences de chacun et chacune, et favorise la créativité de l’ensemble du groupe, à condition que cet exercice soit correctement préparé et encadré. Si c’est bien le cas et que les salarié·es “jouent le jeu”, alors la simulation de l’activité permettra aux acteurs·trices de reconcevoir leurs pratiques professionnelles autour de différentes alternatives possibles permises par leurs différentes représentations du métier (Salembier & Pavard, 2004) et tout ceci à partir de leur propre expérience issue du terrain. On peut aussi utiliser la simulation pour revenir sur des événements passés et travailler sur les ressentis émotionnels, c’est la simulation d’étayage. 

La simulation d’étayage 

Cette simulation est davantage centrée sur les aspects intimes et subjectifs de l’activité. Elle consiste à mettre en lumière ce qui relève de la subjectivité des salarié·es à propos de leur activité, de tout ce qui les entoure et des conséquences que cela peut engendrer sur leur vie professionnelle ou même privée. Ce travail de nature introspective fait plutôt référence au courant de la psychologie clinique et porte sur l’expression de ses craintes, de ses fragilités et de ses souffrances. C’est l’espace privilégié pour les exprimer et en discuter. Cette forme de simulation se traduit par des mises en situation de scènes de travail. On pense notamment à la méthode du psychodrame ou encore du théâtre forum qui sont des méthodes issues du monde du théâtre et qui sont de plus en plus employées de nos jours (Bobillier Chaumon et al., 2018). Ces méthodes consistent à la formation d’un espace d’échange entre, d’une part, des acteurs jouant des scènes spécifiques et, d’autre part, des spectateurs qui assistent à la représentation. Chaque scène jouée doit engager un débat avec l’ensemble des gens présents, créant ainsi une alternance entre des reproductions de situations vécues et des moments de réflexion collective. 

Indépendamment de ses trois formes, la simulation conduit à une mise en perspective de l’activité. Comme précisé en début d’article, elle ne consiste pas juste en une répétition de l’activité, mais vise bien à la confrontation des individus. Le  but étant d’en ressortir les contraintes et opportunités de la situation future, et d’inciter à trouver de nouvelles manières de collaborer entre les acteurs (Bobillier Chaumon et al., 2018). 

Nous venons de voir qu’il existait trois types de simulation en fonction des sujets traités. Cependant, il existe également différents types de simulation en fonction des temporalités des situations traitées. 

Les différents types de la simulation de l’activité 

La simulation prospective « vise, à partir de la compréhension du travail réel actuel, à “faire jouer” par les personnes concernées le travail futur probable dans les conditions imposées par les nouveaux scenarios de prescriptions proposés par les prescripteurs. » (Barcellini, Van Belleghem, & Daniellou, 2013, p. 6). L’objectif poursuivi ici est de simuler une activité future qui n’existe pas encore et qu’on « joue » par des mises en situation. Les participant·es doivent simuler l’activité future à partir d’un cadrage préparé par l’intervenante ou l’intervenant et matérialisé par un support physique. L’intérêt majeur est que la mise en situation permet aux participant·es de se confronter aux invariants ordonnés par la situation et d’élaborer collectivement leurs représentations et leurs pratiques. L’exercice permet donc d’anticiper la situation future et de faire apparaître les nouvelles contraintes, ce qui permet de proposer des ajustements au projet testé.

La simulation réflexive porte sur le travail qui se fait actuellement et vise à redonner du pouvoir d’agir aux individus dans l’exercice de leur activité. Dans ce cas, ce sont les méthodes d’analyse de l’activité en confrontation qui sont employées. Ces méthodes prônent la confrontation d’un individu sur sa propre pratique ou sur la pratique collective de son équipe ou encore la confrontation entre deux praticiennes qui ont la même activité. Cela consiste souvent à filmer une personne réalisant une activité afin de l’analyser avec elle plus tard (cf. entretien auto-confrontation) ou avec un·e collègue (cf. entretien allo-confrontations). L’objectif principal ici est de discuter collectivement des actions réalisées en situation de travail et plus spécifiquement sur les tensions qui émergent pendant l’activité. Par exemple, la coexistence de logiques contradictoires, comme la logique de qualité et la logique commerciale qui est fréquemment difficile à gérer. Concrètement, c'est le ou la consultant·e en régie qui, individuellement, cherche à offrir la meilleure prestation possible au client quand, dans le même temps, l'intérêt collectif incite davantage à prolonger la mission. Contrairement à la simulation prospective où le participant cherche à influer sur le projet, ici, il réalise un travail réflexif de sa propre activité pour élaborer de nouvelles ressources. Cette mise en débat permet « aux professionnels impliqués dans l’histoire d’un milieu de développer leur propre expérience, individuelle et collective, pour développer l’histoire du métier lui-même et en faire une ressource pour penser et agir » (Kostulski, Clot, Litim, & Plateau, 2011, p.131). La simulation réflexive vise donc à la réactualisation des manières d’agir, des principes de fonctionnement organisationnel ou de règles métiers (Bobillier Chaumon et. al, 2018). En d’autres termes, cette simulation vise à favoriser et stimuler la réflexion collective des travalleurs sur les manières d’exercer leur activité. 

La simulation projective quant à elle cherche à faire revivre une situation éprouvante d’un point de vue subjectif et psychique, passé ou à venir. L’objectif de cette simulation est d’aider les participants individuellement et collectivement à verbaliser leurs représentations et émotions à propos de la situation simulée. Elle est souvent utilisée lorsqu’il y a eu des événements traumatiques pendant l’activité. Ce type de simulation a été mise en place par exemple suite aux attentats du Bataclan auprès de professionnels de santé présent·es ce soir-là. 

Enfin, la simulation rétrospective porte sur l’activité qui a déjà été réalisée. Lors des séances, on cherche à recueillir et à formaliser l’expérience vécue pour concevoir de nouvelles situations ou des réajustements de dynamique de travail (Cacheux, Bobillier Chaumon, & Cuvillier, 2018). Autrement dit, on cherche ici à améliorer les règles métiers à partir de l’expérience des participant·es. 

Conclusion 

Nous avons pu constater que la simulation ne devait pas juste être considérée comme un simple jeu de “faire semblant”. À ce propos, la psychologie du développement nous a depuis bien longtemps montré que c’est à travers du jeu de faire semblant que l’enfant  développe une partie de son intelligence (voir Montessori, Piaget, Winnicott, Klein…). C’est donc bien une méthode qui permet de réfléchir sur le travail et qui très utile en milieu professionnel, sous réserve d’être correctement mise en place et avec des objectifs clairs (un article sera publié sur le sujet prochainement).

Pour résumer, il ressort que la simulation peut correspondre à trois situations :

  • Vous cherchez à concevoir des situations futures ainsi qu’à réduire au maximum les dysfonctionnements tout en maximisant la productivité dès le début du projet. 
  • Vous cherchez à améliorer des situations préexistantes comme des procédures de collaboration au sein d’une équipe, tout en respectant à la fois les exigences du terrain ainsi que les connaissances de vos salariés. 
  • Vous souhaitez favoriser le dialogue au sein de votre entreprise et permettre à vos salarié·es d’échanger collectivement sur des situations passées. 

Nous avons également vu qu’il existait quatre types de simulation :

  • La simulation rétrospective qui porte sur l’activité réalisée dans un but de réajustement des situations de travail. 
  • La simulation projective lorsque l’on cherche à faire revivre une situation passée et qu’on s'intéresse précisément à la subjectivité des participants. 
  • La simulation réflexive correspondant à une situation de débat de l’activité actuelle quand on cherche à remodeler un métier existant. 
  • La simulation prospective pour anticiper les situations qui n’existent pas encore. 

Pour conclure cet article, je partagerai mon expérience en situation professionnelle. J’ai pu observer à quel point la méthode pouvait être appréciée par l’ensemble des participants. Les méthodes de simulation sont des méthodes participatives et les salariés cherchent de plus à participer à l’élaboration de leurs futures situations de travail. Ces ateliers m’ont permis de constater une réelle valorisation des compétences pour les salariés, à leur propre égard et celui de leur direction. Dans un contexte de tension en recrutement et où le turnover bat son plein, recruter les meilleurs talents et les garder devient un atout stratégique majeure. La simulation de l’activité est un des outils optimales pour ce type de travaux. Il permet une participation collective tout en intégrant les contraintes économiques et fonctionnelles de l’entreprise. Les résultats apportent des innovations sociales qui ne révolutionnent jamais. Et de ce fait ne mettent jamais en péril l’entreprise tout permettant d’améliorer la qualité de vie au travail sur des situations concrètes.  

Références

Salembier, P., & Pavard, B. (2004). Analyse et modélisation des activités coopératives situées. Evolutions d’un questionnement et apports à la conception. Activités, 1(1). http://www.activites.org/

Daniellou, F. (2007). Des fonctions de la simulation des situations de travail en ergonomie. Activités, 4(4-2), 77-83. Retrieved from https://docplayer.fr/1308878-Des-fonctions-de-la-simulation-des-situations-de-travail-en-ergonomie.html

Kostulski, K., Clot, Y., Litim, M., & Plateau, S. (2011). L’horizon incertain de la transformation en clinique de l’activité: Une intervention dans le champ de l’éducation surveillée. Activités, 08(1). https://doi.org/10.4000/activites.2456

Barcellini, F., Van Belleghem, L., & Daniellou, F. (2013). Les projets de conception comme opportunité de développement des activités. In P. Falzon (éd.), Ergonomie constructive (pp. 191-206). Paris: PUF.

Bobillier Chaumon, M.-E. (2016), « Acceptation située des TIC dans et par l’activité : Premiers étayages pour une clinique de l’usage », in Psychologie du Travail et des Organisations, vol. 22, n° 1, p. 4-21.

Bobillier Chaumon, M.-E. et Clot, Y. (2016), « Clinique de l’usage. Les artefacts technologiques comme développement de l’activité», in Activités, 13-2. http://activites.revues.org/2897

Bobillier Chaumon, M., Rouat, S., Laneyrie, E., & Cuvillier, B. (2018). De l’activité DE simulation à l’activité EN simulation : Simuler pour stimuler. Activites, 15(1) doi:10.4000/activités.3136

Cacheux, M., Bobillier Chaumon, M.E., & Cuvillier, B. (2018). La Simulation Rétrospective : une approche des comportements émotionnels et sociaux vécus au cours d’un changement professionnel. In Actes du Congrès international de Psychologie du travail AIPTLF 2018. Bordeaux, 9-12 juillet 2018.

Van Belleghem, L.  (2018). La simulation de l’activité en conception ergonomique: Acquis et perspectives. Activités, 15(15–1). https://doi.org/10.4000/activites.3129